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De :
philippe gassin
Ajoutée :23 mars 2011
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La graine et le fruit
C
ela se passe au Sénégal. Dans un village de Casamance, une ONG vient d’ouvrir une école. Le vieux sage, qui jusqu’alors faisait la classe aux enfants, attend leur retour devant sa case pour la première fois désertée. Lorsqu’il les voit revenir de cette première journée d’école, il s’enquiert de leurs impressions. « C’était mieux qu’avec toi : pour nous expliquer comment bien nous nourrir, ils nous ont donné des fruits, alors que toi, tu nous distribuais des graines qu’il nous fallait planter ». Les enfants poursuivent leur chemin en riant, et le vieux sage les regarde s’éloigner. Dans ses yeux, on devine qu’à la joie de savoir les enfants satisfaits et rassasiés se mêle une pointe de déception : il pressent que désormais, la nouvelle génération ne saura plus comment subvenir à ses besoins. Cela se passe à Montpellier, m ais aussi partout où il est question de formation professionnelle. Dans nos préoccupations de formateurs, un dilemme : faut-il répondre précisément à la demande formulée, ou plutôt donner à nos interlocuteurs les clés pour qu’ils trouvent eux-mêmes leur réponse ? Lorsque, au pôle FormationDocumentation de l’ABES, nous mettons en place un nouveau programme de formation, cette question revient sans cesse. Bien au-delà des choix techniques (diaporama ou manuel ? support visuel ou imprimé ?) ou fonctionnels (théorie ou pratique ? démonstration ou exercices ?), c’est à l’esprit de notre démarche pédagogique que nous accordons la priorité. Si notre objectif est clair (« la prise en main d’une application professionnelle pour participer efficacement au travail dans l’un des réseaux de l’ABES »), et notre mission définie (« favoriser la réalisation de cet objectif »), le sens que nous allons donner à cette situation pédagogique est plus difficile à imposer. Car il ne s’agit pas que de nous, formateurs, et de notre conception du métier.
Dans ce dispositif à mettre en place, il faut tenir compte des stagiaires, de leurs besoins et leurs attentes. S’inscrire à une de nos sessions de formation est une démarche coûteuse pour celui qui l’entreprend : cela suppose, pour une session localisée à Montpellier, de quitter pendant plusieurs jours son établissement et son poste de travail. Nous en sommes conscients, si l’on ne peut pas parler de « sacrifice » (puisqu’il y a, à terme, la récompense de l’acquisition de nouvelles compétences) il s’agit quand même d’un effort non négligeable. Il se double, dans le cas où le collègue est parent, d’un effort personnel. Pour l’établissement qui envoie un agent en formation, l’engagement de frais de mission s’ajoute à l’absence du collègue et parfois à la perturbation du service – permanences de service public à redistribuer, réduction des horaires de service de prêt entre bibliothèques (PEB). En récompense de ces investissements, professionnels ou tout simplement humains, le stagiaire entend repartir avec des réponses claires. L’établissement, lui, espère un retour sur investissement : si la formation a un coût, il est normal de vouloir en tirer des bénéfices. Le stagiaire a des attentes précises, et même s’il est toujours appréciable de s’extraire de son environnement professionnel pendant quelques jours, ne serait-ce que pour faire le point sur ses pratiques ou pour rencontrer des collègues, il acceptera difficilement un programme dont il ne perçoit pas la finalité et les bénéfices immédiats. Il veut être rassasié. Il veut le fruit. Concevoir une session de formation va au-delà de l’élaboration d’une liste des points à traiter. Cette liste est plutôt le point de départ que le but à atteindre. À partir de chacun de ces points, le formateur devra trouver le meilleur angle pour le présenter, le discours le plus adapté pour l’expliquer, l’exemple le plus pertinent pour l’illustrer et enfin la situation la plus réaliste pour le mettre en pratique.
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S’impose alors une cadence qui échappe au rythme binaire explication / application : il faudra prévoir le meilleur moment pour aborder telle notion, moment qui tiendra compte de ce qui s’est dit avant, se dira après ; il faudra laisser le temps à cette notion de s’installer dans l’esprit des stagiaires, et préparer des contextes favorables pour qu’elle y mûrisse ; il faudra prévoir d’y refaire allusion, lorsque quelques heures après, une nouvelle notion viendra y faire écho. Ainsi, une session de formation telle que nous les concevons, sur 2 ou 3 jours, prend l’allure d’un puzzle, qui se construit progressivement, où chaque apprentissage s’emboîte avec un autre pour faire sens et dont la dernière pièce ne sera véritablement posée qu’une fois le stagiaire, de retour dans son établissement, aura quelques heures de pratique derrière lui. Nos stagiaires trouvent souvent nos formations « denses » (on le vérifiera dans les résultats de l’enquête d’évaluation que nous avons menée au printemps 2010 et dont vous trouverez le compte rendu page 10). Si elles le sont, c’est pour distribuer toutes les pièces du puzzle, ne pas le laisser inachevé. Il ne s’agit pas de « tout dire » pour « tout assembler sur place », mais plutôt « tout dire » pour que l’assemblage se fasse sans heurts, plus tard, dans l’environnement professionnel réel. Animer une session de formation, c’est ensuite savoir doser la distribution des pièces : adapter le discours au niveau et à la personnalité des stagiaires, établir la relation de confiance et d’autorité qui donnera vie à la session. Le formateur a une ambition précise, et même s’il sait s’adapter aux personnalités et aux attentes de son groupe, il acceptera difficilement d’y déroger et d’adopter une démarche pédagogique à laquelle il ne croit pas. Il veut donner des clés plutôt que des réponses car son but est que ses stagiaires les trouvent eux-mêmes, ces réponses. Il veut distribuer les graines.
rabesques n° 61 janvier - février - mars 2011